Lettres sur la vie insensée




Tu regardes le monde, depuis ici, depuis là-bas, et tu trouves, et tu dis, qu’il ne fait pas sens. Toi, à qui il s’offre pourtant ce monde, tu le prends en pleine face encore et encore. En 2023, l’avenir n’est pas rose, ni même brun ou noir, simplement il n’est pas. Au NO FUTUR revendiqué des punks, nous avons ajouté la froide efficacité des économistes, et le cynisme des médias. Nous avons pris de l’avance sur notre fin et hissé haut notre bannière. En lettre de sang, tu la lis : LIFE IS WORSE NOTHING.

Pourtant, bien des fois, à bien des époques nous y avons cru à la possibilité de devenir meilleur. Plus jamais de guerre, plus de gens qui meurent de faim, plus de sous-hommes à la merci de sur-hommes. On était sûr de tirer les leçons de l’histoire, de ne pas répéter les mêmes erreurs. Le bon avait tué le méchant, et à la sortie des camps les victimes ne seraient jamais des bourreaux. Mais aujourd’hui tout ça c’est mort. Et l’espoir se mue en nostalgie et les cris de haines marchent par-dessus ceux de liberté. Après avoir perdu Dieu, après avoir perdu l’homme, que nous reste-t-il ?

« Tu as la vie devant toi! ». C’est ce qu’on te dit, à toi, et ça te fait une belle jambe. Faire des études pour obtenir une bonne place, à quoi bon quand celle-ci a une vue qui donne sur le néant ? Mieux vaut s’assoir devant son école avec une pancarte où est écrit : STOP. Mieux vaut tout, plutôt qu’adhérer au mensonge gluant du progrès, de la morale et du soi-disant monde libre. Mieux vaut même mourir? Ne pas se battre? Ne pas résister?

Non, à mes yeux, non. Pourquoi? Pourquoi malgré tout? Qu’y-aurait-il bien à défendre quand tout est déjà perdu? Comment pourrait-on dire que ça vaut la peine, quand tout ce qu’on nous promet c’est encore plus de peine? Qu’est ce qui justement justifierait cette vie injustifiable?

Rien. Je n’ai pas la prétention d’offrir une solution, ou même dire qu’elle existe. Non, ce n’est pas avec le sourire que je vais te dire qu’il faut continuer le combat et pourquoi. C’est les yeux plein de larmes qui roulent à l’intérieur, que je vais te dire d’accueillir la vie, avec un sourire malgré tout. Et oui c’est ridicule tu me diras!

C’est très simple en réalité. Comme une sorte de foi débile. Une illusion sans illusion. Un mantra.

CE QUI COMPTE C'EST COMMENT.

-Le monde va droit dans le mur et nous avec !
Oui et ce qui compte c’est comment on marche dans ce monde.

-On regarde impuissant les migrants se noyer pendant leur traversée vers une vie rêvée, à l’intérieur de la leur qui est un cauchemar.
Oui et ce qui compte c’est comment on ne détourne pas les yeux devant leurs histoires.

-Quand ceux qu’on aime nous quitte, pour un jour peut-être ou toujours, qu’on leur dit au revoir, en s’accrochant à leur présence comme un chien à son maître.
Oui et ce qui compte c’est comment ils continue de vivre en nous.

-Alors la terre brule et pendant que l’on jette au brasier encore plus de pétrole, on jure au soleil qui se lève et nous éblouit: Va te faire foutre!
Oui et ce qui compte c’est comment on résiste à l’obscurité qui grignote et grignote encore.

Pour finir, j’imagine – pardonne-moi! – une sorte de conte, cette scène:
Adan et Eve sont vieux. A coté, le trognon de la pomme divine, flétrie et moisie, ne laisse plus deviner qui l’a croqué en premier. Un chant d’oiseau se lève et, las, les deux amants misérables se couchent pour mourir. Il dit à elle, ou elle a lui - on ne saurait plus bien dire.
« Nous sommes les derniers. Demain personne n’entendra encore le chant de ces oiseaux. »
Et l’autre: « Alors laisse moi écouter encore, mon amour, laisse moi encore écouter… ». Puis le rideau se ferme doucement.

En voilà une drôle de lettre (pas si drôle!) que je t’ai écrite là! Elle a les bras baissés, mais le coeur chaud et encore battant. Si ça te chante j’aimerai t’entendre? Toi qui a presque vingt ans!




Yves, Janvier 2023





« Tu as la vie devant toi, c’est ce qu’on te dit, à toi, et ça te fais une belle jambe. »

Bah ouai, ça me fait une belle jambe. Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse de cette vie ?! Elle a tout à offrir et pourtant elle semble pas en valoir la peine. J’comprends pas c’qui ce passe dans ma tête, c’est un bordel pas possible, et y’a rien qui fait du sens. En même temps, cette vie C’EST un bordel pas possible et y’a rien qui fait du sens. On grandit en apprenant que c’est « normal » tout ça, c’est comme ça, et ça a toujours été comme ça, on vit avec, c’est tout. Il y en a des qui dorment dans les rues, des qui sont obligés de choisir entre mourir en mer ou sous les bombes, des qui sont rabaissés et maltraités simplement à cause de leur genre, de leur religion ou leur ethnie. Et tout ça c’est normal. Enfin ce n’est pas « normal », mais c’est « normal ». Ça nous étonne pas, ça nous préoccupe pas plus que ça. On passe devant, on dit qu’on n’a pas de monnaie. On lit le journal et on soupire en buvant notre café. On ne fait rien. On vit notre vie comme si c’était normal. Et je comprends, pourquoi on fait comme si c’était normal. Parce que si soudainement on décidait que ça ne l’était pas, et qu’on en avait quelque chose à faire, on deviendrait fous et folles. Bah oui, parce qu’on peut rien y faire. Ou plutôt parce qu’on peut faire des milliers de choses sans pour autant réussir à changer la situation. Donc, de toute façon, on peut rien y faire. Donc la seule chose à faire c’est d’ignorer tout ça pour pas souffrir de notre incapacité à créer un changement. Donc on y trouve normal. Parce que ça serait trop douloureux autrement. Bah oui, c’est pour se protéger, c’est normal de réagir comme ça.
Alors pourquoi dans ma tête ça ne marche pas ? Pourquoi j’y trouve pas normal, pourquoi j’me prend la tête à essayer de comprendre pourquoi, pourquoi c’est comme ça ? Ça fait pas de sens. Je sais même plus ce qui fait du sens. Peut-être que ce que j’écris là ça fait pas de sens, en fait c’est même très probable.
C’est okay si tu comprends pas c’que j’dis ou si tu trouves que ça fait pas de sens. Essayes pas de me comprendre. Moi non plus j’me comprends pas. J’crois qu’il n’y a rien à comprendre au final.
Mais s’il n’y a rien à comprendre et que rien ne fait de sens, alors c’est quoi le but de tout ça? J’y réfléchis et je m’dis qu’en fait, il n’y a peut-être pas de but.
Si j’peux pas contrôler mes émotions, ni mes pensées, et parfois même pas mon corps, alors qu’est ce que je contrôle ? Quel impact j’ai ?

Comment pourais-je avoir un quelconque impact sur le monde qui m’entoure si je ne peux même pas décider qui j’aime ou quand. Et dans ce cas, qu’est ce que je fais la ? Pourquoi suis-je ici ? C’est quoi la vie ? Ma vie ?
C’est faire des cookies que j’peux pas manger et danser seule, high dans ma chambre la nuit?
Pourquoi j’ai besoin que ça soit logique ? J’me pose des questions et j’me prends la tête tous les jours parce que c’est pas logique, parce que ça fait pas de sens, ici, rien ne fait du sens. La vie elle même ne me semble pas en faire.
Peut être qu’il y a pas de sens, pas de logique, et qu’il faut juste vivre sans se poser de questions.
Juste faire des cookies et danser seule dans la nuit.
J’ai mis des paillettes sur mes paupières pour pas que les gens voient à quel point c’est sombre dans mes yeux.
J’ai souris en me demandant si ça valait le coup d’être en vie. En même temps, tant qu’à être la, autant en faire quelque chose de cette vie. Mais quoi.
Je regarde les cookies dans la boite sur mes genoux, et les cookies me regardent, sans réponse. Au moins eux, leur existence a un but.
Je suis jalouse de ceux qui ignorent tout. Ceux dont on dit qu’ils sont ignorants. Ils se posent pas de questions eux. Ils sont pas ignorants, ils sont pas cons, ils ont juste trouvé comment vivre heureux. C’est eux les plus malins, de par leur ignorance.
Vivre ça fait mal, mais voir l’inquiétude dans vos yeux, ça, ça fait encore plus mal. Alors t’inquiète papa. Je reste là. Je reste là, et on verra la suite.
Si j’partais maintenant je saurais jamais pourquoi j’étais là, si je reste peut être que je saurais. Ou peut être pas. On peut pas savoir si on essaie pas. Alors je reste. Les cookies sur les genoux, dans les TPG, sans ticket ou les effluves de caramel se mêlent à ceux de parfums trop forts dont les gens se douchent. Peut être qu’en demandant aux autres j’en saurais plus sur pourquoi je suis moi même là. Alors je te demande, à toi, papa, tu sais pourquoi t’es là toi ?




Melina, Février 2023