Tulipe


Je ne sais pas quand je suis dans mon atelier. L’autre jour je crois bien que c’était un tas de bois à fendre à coté d’une tulipe. Y’avait plein les branches à craquer de fleurs blanches des poiriers. C’était un bon plan tout ce frêne à prendre pour rien. Plus qu’à le fendre, avec des coins et ma masse. Petit à petit on en fait une montagne, mais souvent ça on l’oublie. La tulipe, je l’avais remarqué au coin de mon oeil. Elle se tenait là, simplement dans sa vie de fleur. Alors que moi je fendais, empilais, me rassurais du temps qu’il reste. Le bois s’ouvrait facilement, sauf quelquefois un noeud résistait. Il était humide à l’intérieur et sentait bon. La tulipe s’en foutait. Le bruit de la masse qui frappe, puis les fibres qui lâchent à contre-temps, quel plaisir. Ça se dit souvent d’ailleurs, comme que l’hiver a été long. Comme les corps ont besoin de bouger plus que de prendre une place. C’était une belle journée ce jour où Jean m’avait dit: c’est du beau bois que tu as là. Pas seulement du frêne, du chêne aussi, son aubier plus blanc, plus découpé. Empilé dans un sens, dans l’autre, ouvert, montrant sa coupe ou son fil, par amour, par nécessité. Comme un pain sortit du four. Cette tulipe, à l’ombre du tas, qui reste, ridicule, presque transparente, attirant tout vers elle, elle, fragile mais que rien ne traverse entièrement, pas même et surtout pas sa couleur, rose carmin, lac de garance, couleur de fille.



2006