Triptyque



Elle est prête. On va tirer. Il a l’air gros. Elle a dépassé le terme depuis longtemps. Mets la main dedans, c’est humide et chaud. Sors ta main, elle est couverte de la plus belle des baves. Le limousin se présente bien, les pieds devant, devant le passage. Faudrait réussir à attacher la corde au dessus du sabot, la cheville est plus fine et le sabot plus gros, ça glisse moins, quand même trop, ça tient pas. Pas pour l’instant. Tient celui la pendant que je passe la boucle. Tire, j’attache, relache et toi pousse. La boucle se ressert sous la contraction de la corde. Pousse ma vieille. Nous on parle pas on espère. On espère à devenir rouges et dégoulinants, à user nos forces, à user l’espoir. Il est trop gros. Il vient, il s’en va, il creuse de sa tête un trou de l’intérieur, il s’écrase la langue. L’air est si proche et lointain. Une déchirure, elle meugle, la déchirure devient un son qui aveugle, une toile dont les fibres cèdent comme une branche casse. Passe tes doigts autour, dégage le passage, retrousse la peau et bande tes muscles. Encore, tout donné, l’énergie d’un incendie. La tête, dehors, est plus grande que le col, dedans. C’est rouge, c’est bleu. Ca brille. Le sang se dilue dans la plus belle des baves. La corde se relâche, la cheville pleure. Il est à l’air et à l’eau froide, en vie et on reste là, les bras ballants et l’air hébétés.

C’est une image composée de plusieurs images. La même à l’infini. Pourtant le photomaton d’où elle est sorti était programmé pour un certain nombre. Touche A : un portrait, touche B : quatre photos d’identité, touche C :?. Jeunes ils avaient déjà ouvert le rideau et étaient entrés, pour s’amuser, pour le souvenir. Puis d’autres après eux et encore d’autres. Combien ? C’est connu et connu encore, il y en a plein, partout, des fractions de seconde. Premier flash : joue contre joue. Deuxième : on s’embrasse. La cabine est vide pour le troisième. Ils ont tiré le rideau et rient à l’air libre. Une image en couleur, couleur unique de plusieurs flammes infimes qui dansent sur la même mèche. C’est doux quand ça vous touche. Ce grain des grains d’un temps passé et futur, est toujours présent. Quand on l’as dans l’oeil il nous fait pleurer de la même façon qu’il bat dans le coeur. C’est elle, c’est lui, c’est eux et puis n’importe qui vous voulez. Eux veulent essayer encore une fois. En souvenir et en chemin croisés de morceaux de vie enfilés les uns sur les autres. L’un chassant l’autre et le dernier le premier. Cet instant, cette fraction, connu et connu encore, il est en permanence au milieu de nos existences. Sa lumière vacille, ça et là d’un bout à l’autre de nos vies, en plusieurs images d’une même image.

Ici, obscurité. La nuit ne s’est pas encore réveillée. Pour l’instant elle dort, elle est jeune, petite même. Elle fait ses mots, elle fait ses dents. Ça grandit, ça enfle, rose, rouge, blanc. Allongé dans le noir, le silence serein sent passer une aiguille à l’intérieur de sa chair. Il n’est plus qu’un point, un point ridicule et incandescent, qui se brise en autant de hurlements que d’étoiles. Elle pleure. On tremble. D’un coup il fait froid. Je n’entends plus le feu, je n’entends plus rien, j’entends tout. La douleur fragmente nos corps. Nos corps deviennent inutiles sous des bombes de vies. Le coeur ne croit pas à l’espoir des bras, il tremble par misère saccadée. Qu’est ce qu’on peut faire pour la calmer. Elle a peur ou a peur d’avoir mal. Nous, on a peur qu’elle ai mal et pire encore qu’un jour elle cesse à jamais d’avoir mal. On est pris dans la nuit, le corps invisible et la blessure lancinante. Et ces hurlements mettent à nu le silence total du monde où ses cris se répande. Je n’y tient plus, je craque, je résiste sans le savoir. C’est la fin, les dents viennent à bout des fibres et des nerfs. Tout ça s’oublie. L’air fissuré ne paraitra plus. Ce n’est qu’une terreur nocturne, après tout c’est normal. La nuit doit parfois se réveiller, au prix de nos battements de coeur. Crever la paix, illusoire. Nous amener au fond du lit et là rester en boule, prêt à bondir hors de notre corps pour arrêter tout ça. Mais ça ne peut pas, ça pousse quoi qu’il en soit.

2005


Triptych



She’s on the point. Let’s pull. He’s not small and she was long overdue. A hand inside, damp, warm. Withdraw hand wet with the most beautiful dribble of dribbles. He’s well placed, feet first, ready for the passage. Tie the rope above the hoof, the shin is thin and the hoof wide. Like this it’s less likely to slip, yet it slips, won’t hold. Not for the moment. Hang on to the rope whilst I get the loop over. Pull, tighten and now let go. You, my lady, push. The rope taut, the loop tightens. Push again Maman. We’re praying, not shouting, we’re red and sweating, dripping with hopes as we pull. He’s too large. He comes forward then he has to draw back. He digs a hole with his head in there, he crushes his tongue, for the air is so near and so distant. A tearing apart, she moos, the tearing a sound which blinds, a cloth whose threads snap like branches. Twist the fingers round the hoof, open the passage, tuck up the skin and flex every muscle. Again pull! Again, our effort will burn up our strength. The head’s out and is bigger than the neck still inside. It’s red, it’s blue and glistens. Blood is being diluted in the most beautiful dribbles. The rope slackens. Shin weeps. Out he comes into the air and the cold water. He has made it, alive, with us standing there, arms dangling, silly.

A page, a picture made of many pictures. The same one over and over again. It came from a photo booth. A photo booth which didn’t have infinity in it’s programme. Press A for Portrait. Press B for 4 IDs. Press C for? When they were young they drew back the curtain and stepped into the cabin for the fun of it and for a souvenir. Others followed, then others. How many? So many, fractions of seconds, everywhere. First flash: cheek to cheek. Second flash: kissing. When the third flash came the cabin was empty. They had opened the curtain and were laughing in the fresh air. A picture in colour, the single colour of a myriad flames dancing on the same wick. Soft to the touch. A grain of the grains of time past and time future, ever present. If it gets in your eye, you cry. If it’s in your heart, it beats faster. It may contain her, him, them, whoever you choose. They want one more. Scraps of life, souvenirs of paths crossing, threaded together and chasing one another, the last pursuing the first. Some such fraction of a second, some such instant known time and again, is permanently at the centre of our being. Its light fluctuates from one end of our lives to the other, making here and there many pictures of the same picture.

It’s dark here. The night hasn’t woken up yet. She’s small, young and for the moment she’s asleep. Her vocabulary is growing, her teeth are growing, she’s growing, growing up, pink, red, white. The peaceful silence, stretched out in the dark, senses a needle enter her flesh. No more than a pinprick, ridiculous, incandescent. Then it breaks into as many screams as there are stars tonight. She howls. We tremble. It’s suddenly cold. I can no longer hear anything, I hear everything. Pain splitting our bodies. Our bodies useless under the bombs of life. Heart no longer believing in the hope offered by a pair of arms, shaking in misery, broken into, sacked. How to bring calm? She is afraid, afraid of pain. We’re afraid she’s in pain, or worse still, that one day she’ll stop feeling pain. The middle of the night, body invisible, wound lacerating. The screams reveal the total silence of the world they cross. I go to pieces. I resist without knowing it. It’s over, teeth clenched on nerves. Everything forgotten. The smashed air disappears. It was only a night terror - what more normal? The night is, sometimes, bound to wake up and make our hearts pound, to deflate the illusion of peace, to hustle us to the pit of the bed where we lie hunched up, ready to leap out of our bodies and stop the lot. But it’s no go, growth, all the same, goes on.

2005