Louis


1er Juin 2021



Vous dire ce que Louis est pour moi, cela je ne peux pas. C’est trop grand. Pas maintenant.
Mais je peux vous lire un texte que j’ai écrit il y a bien longtemps, à l’époque où chaque jour j’apprenais le travail à ses côtés.
À l’époque où j’étais le commis de Louis.

Il habite en haut du village dans la maison de ses parents.
Chaque midi, il descend tirer une bouteille de cidre à la cave.
Son dentier reste toujours dans un verre à côté de l’évier.
Il se rase dans sa chambre, ne rince jamais son blaireau.
Dans une pièce devenue son bureau, quatre bidons de gnôle attendent d’être portés au grenier.
Un accordéon est posé sur des revues pornos posées sur une chaise.
Sur le rebord de la fenêtre, une assiette de granulés jaunes contre les mouches.
Après mangé il s’endort devant un feuilleton télé romantique.
La toile cirée sur la table est clouée à ses bords.
Il prépare sa soupe pour qu’elle dure trois jours.
Il n’a pas de poubelle, les boîtes de conserve vont dans un tiroir.
Il mange seul en face de la fenêtre donnant sur le jardin.
Trois fois par jour, il prend ses cachets pour le cholestérol.
Il petit-déjeune avec du café au lait, de la tomme et France Info.
Il met de l’eau de toilette quand il sort acheter le pain.
Échange parfois ses bottes contre des souliers.
Quand il rentre, il regarde toujours la pendule au-dessus de la cheminée.
Recevant le journal, il regarde d’abord les petites annonces.
Aux conseillères financières qui le visitent, il offre des cerises à l’eau-de-vie.
Sa sœur vient faire le ménage tous les lundis.
Son ancien frigo lui sert de placard, des outils sont amassés dessus.
Toute l’année il allume le feu vers onze heures.
À côté du poêle, un carton de papier froissé en boule par son beau-frère.
Chaque matin il enfile sa casquette jusqu’au soir.
Ses jambes ne voient jamais le soleil.
À force de se plier, une bosse s’est formée en haut de son dos.
Avant de dormir, il pose ses chaussettes en laine sur ses chaussures au pied du lit.
Le matin il est le dernier paysan à se lever.
Au bal il danse la valse comme personne.
Ses yeux brillent de fierté.
Les cuisses de ses vaches sont encroûtées de bouse.
La photo de lui avec un accordéon a glissé dans le cadre qui la tient droite.
Quand il part, il cache la clef sur l’escalier sous une ardoise.



2021 et 1998