Vacances


Les galets

À bien regarder les galets sur la plage, on les trouve presque tous beaux. Les plus remarquables - au motif de leur pureté, ou qu’ils soient insolites, amusants - on les cherche des yeux et parfois les emporte.
C’est facile aussi de se laisser prendre au jeu d’en empiler quelques-uns. Il y a un plaisir à voir ces pierres plates devenir des petites tours, des petits personnages. Un plaisir à chercher l’équilibre de l’une sur l’autre. Le plus proche de l’instabilité, le plus grand le plaisir. Et avec le sourire, on se fiche de savoir que la verticalité est éphémère. Le jeu recommence.
Les innombrables galets de la plage, les innombrables mains, été après été, qui les ont saisis et déplacés. Jamais tout à fait pour rien, mais presque. Histoires de rencontres.


Dégustation

Il rentre dans l’eau pleine d’algues. Chaussé spécialement et mains gantées. Son fils l’accompagne, avec un outil à la main qui ressemble à une binette de jardin. Le manche doit faire la longueur de son bras.
Ils avancent tous les deux vers la crique. À cet endroit on peut voir des bancs de centaines de petits poissons, accompagnés parfois de quelques gros. Ils longent les rochers, lentement. Un peu plus tard, le père revient avec une épuisette pleine d’oursins. Le fils continue la chasse. Le père, avec un accent du Vaucluse, appelle sa femme restée sur la plage. Elle se rapproche, marchant prudemment pieds nus sur le rocher. Elle lui tend le couteau qu’il a demandé. Ensuite elle s’assoit et avec la cuillère qu’elle a dans sa main, elle mange un par un les oursins qu’il lui passe, ouverts.



Famille du 13


Ils occupaient deux places du camping. Peut-être deux frères avec chacun leurs familles. De Marseille en tous cas, ou de sa région. Ils prenaient leurs repas tous ensemble. Une longue tablée. Bruyante. Vivante.
Ce coin de camping c’était chez eux. Les ados jouaient là comme en bas de leur immeuble, ou autour du pâté de leur maison. Modestes, ils avaient l’assurance de ceux qui savent où ils sont et qui ne prétendent à rien.
Vient le moment du départ. Derrière la voiture, une petite remorque où ils ont enchâssé tout leur bazar. Le père fait un tour avec du scotch pour fixer une bâche par dessus. Toute la famille est autour. Les clignotants de la remorque ne fonctionnent pas comme il faut. Chacun y va de son commentaire. L’un d’eux essaie de tripatouiller la prise à l’arrière de l’auto. Le problème n’est pas nouveau et nul ne doute qu’ils vont s’en arranger, comme ils l’ont fait jusqu’à là.
Depuis leur départ la place est vide, libre pour d’autres. Quelques mètres carrés de terrain poussiéreux, bordés d’arbres offrant de l’ombre. Peu de chose, mais ici les Marseillais n’ont manqué de rien.


Les corps

À la plage on en voit de toutes sortes. Les maillots de bain cachent ce que l’on veut garder caché. De petites parties en somme.
Ainsi ils s’offrent, à la vue, au soleil, à l’eau de la mer, au vent et au sable. Et dans ces conditions, tous partagent une certaine égalité. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, grands, petits, larges, maigres, gracieux, ingrats, dans la force de l’âge ou flétris ; déclinant cette infinie diversité, mais tous également présents.
On les regarde sans se lasser, sans percer leur secret. Curieux de se trouver au seuil d’autant de vies inconnues. Pour une cicatrice visible sur la peau, combien se cache à l’intérieur ?



Résident à l’année

Un chemin sillonne le camping, permettant à chacun de garer son véhicule à côté de l’emplacement qu’il s’est choisi pour dormir. L’été, la terre de ce chemin est complètement sèche et les voitures qui passent soulèvent une traînée de poussière.
Quelque part le long de cette voie, précisément « allée des peupliers », une fourmilière souterraine est en pleine activité. De grosses fourmis noires. On peut les voir s’affairer autour du trou de l’entrée. Voir et s’étonner encore de leur incroyable force - quand l’une soulève une boule de terre faisant trois fois sa taille, où deux autres fourmis sont encore accrochées dessus ! Ou suivre un instant, intrigué, leur va-et-vient qui semble à la fois chaotique et si bien orchestré.
Pour peu qu’on les ait remarqués et observés un instant, au moment où l’on soulève la tête pour aller voir plus loin, on se sent émerger - comme de la mer- d’un monde de mystères. Qui, enfant, n’en fut pas un explorateur ?
Mais c’est juste un chemin dans un camping de bord de mer, où passent l’été des voitures qui partent et vont se garer.




Sardine


Je retourne à pied au mobile home. Un nouvel arrivant me voit passer et se décide à me parler. Il s’excuse, me demande s’il n’y a pas un truc pour les sardines qui ne s’enfonce pas. Il en a déjà plié plusieurs en essayant d’installer sa tente. Je lui dis qu’à mon humble avis il n’y a pas grand-chose à faire avec ce sol sec et dur comme de la pierre. Ça ne l’aide pas beaucoup. On parle encore un peu, puis je continue mon chemin. En arrivant je m’ouvre une bière et décide de lui en porter une. Il la prend avec un plaisir manifeste.
Le soir dans le mobile home, je poursuis ma lecture de Walter Benjamin sur  l’Art à l’ère de sa reproductibilité technique . Le lendemain j’apprends que le travail de ce monsieur c’est précisément de reproduire des œuvres d’art avec les moyens qu’offre la technique d’aujourd’hui. On discute plus loin. Nos filles commencent à jouer. Il nous montre un truc pour se débarrasser des guêpes qui nous agacent quand on passe à table : laisser bruler du café moulu dans une soucoupe. On essaie et ça marche. On continue un bout de vacances ensemble. On échange nos adresses et nous nous quittons amis.



Le rocher

Depuis cet immense rocher qui plonge dans la mer, des jeunes s’amusent à sauter dans l’eau. Ils trouvent là des plongeoirs naturels de tous niveaux. Les plus téméraires tentent parfois le « 12 mètres ». D’autres se satisfont de toute sorte de figures plus ou moins acrobatiques et plus ou moins gracieuses, avant de pénétrer la surface de l’eau. Les vacances d’été pour eux passent ainsi.
Ce rocher est accessible par un chemin escarpé qui monte depuis la plage. Si on s’y rend, on remarque que les couches géologiques qui le constituent contiennent des millions de coquillages (sa texture est d’ailleurs peu commode pour marcher pieds nus). Au-delà de sa beauté, et du terrain de jeu qu’il offre à ces jeunes, ce rocher donne à penser : tout ce qui existe hors de l’eau n’est il pas né en dessous ? Etc.


Rêve

Les vagues, si nous savions les lire, nous n’aurions peut-être pas eu besoin d’écrire la genèse ni de nous demander qui nous sommes devant le miroir.


Aire de jeu

C’est un terrain de jeu près du port de Bastia. Il a la forme d’un triangle, mais les voitures qui circulent tout autour lui donnent l’air d’un rond-point. Au centre se tient le module de jeux pour les enfants. Un chemin bordé de quelques bancs en fait le tour. Une palissade métallique ferme le tout. Trois portes permettent d’entrer et de sortir, une pour chacun des côtés.
Comme nous, d’autres familles ont trouvé ce terrain de jeu en attendant d’embarquer sur le bateau. Bientôt ils auront rejoint leur chez eux quelque part en Europe, mais pour l’heure (les dernières) ils sont encore là, sur l’île, à Bastia, dans ce mini parc de jeux.
Plus nombreux encore, des locaux. Surtout de jeunes mamans avec leurs petits. Certaines sont coiffées d’un voile, d’autres pas. La plupart se connaissent et discutent tour à tour. Au centre les enfants s’occupent d’eux-mêmes, comme ils le font n’importe où lorsqu’on les laisse libres de jouer. La vie bat son plein devant eux. L’un est handicapé mental : il rit fort et sans raison. Cela ne gêne personne. Un couple de petits vieux est assis sur l’un des bancs. Vraiment ils sont vieux et petits, tout fins. Ils ont l’air d’être là depuis toujours. Inébranlables et fragiles pourtant. Leur beauté ne fait de doute pour personne. On les laisse tranquilles sur leur banc. Une black habillée comme un bonbon arrive et va s’asseoir plus loin. Elle pourrait être une ancienne prostituée ou un clown. Yasin, un garçon de huit ans et demi, n’en fait pas cas. Il joue au foot avec un ballon Hello Kitty - probablement celui de sa petite sœur. Il tire, il dribble, se sert de la palissade métallique pour se faire des passes. Il est pieds nus. Son visage rappelle ceux des enfants rencontrés en Palestine. Des yeux tendres et malins avec un noyau dur qui brille comme une braise.
Vient l’heure de prendre le bateau pour quitter l’île. On sort de ce terrain de jeux et on quitte un monde. Un petit monde en forme de triangle, mais où tout, absolument tout, cohabite. Avant et après nous.



2014